Reprenons le dossier de l’affaire. Depuis des mois, la Cinémathèque française préparait une grande exposition « Jacques Tati, deux temps trois mouvements » qui vient d’ouvrir ses portes (jusqu’au au 2 août). Une étonnante reconstitution de son univers à travers une réunion d’objets, d’images, de signes, de dessins, de journaux à ne pas rater. Sur les affiches promotionnelles comme sur la couverture du livre-catalogue (45 euros, 304 pages, naïve), un même pictogramme extrait de Mon Oncle : le bonhomme Tati fier et droit sur son Solex revêtu de son uniforme hulotissime : pantalon et imperméable trop courts, le chef coiffé d’un galurin et la bouche prolongée de sa pipe. Or les services juridiques de la Ratp et la Sncf ont cru bon de retoquer l’affiche au motif qu’elle risquerait de contrevenir aux dispositions de la loi Evin sur l’incitation au tabagisme (« …propagande ou publicité, directe ou indirecte, sont interdites… »). Fumant, non ?
Il y a quatre ans, la Bibliothèque nationale de France avait déjà cru bon gommer la cigarette que Jean-Paul Sartre tenait entre les doigts sur les affiches et la couverture du catalogue de son exposition ; et en 1996 déjà, Malraux essuyait les plâtres de cette fâcheuse tendance, la Poste lui ayant supprimé la cigarette sur le timbre reproduisant son fameux portrait cheveux au vent par Gisèle Freund. Les frileux de la Sncf et de la Ratp peuvent encore agir ce qui se passe chez eux, cela n’empêchera pas l’exposition Tati de présenter une gigantesque pipe de cinq mètres vissée sur un socle sur lequel on peut lire « Libertaire ». Un objet prévu et conçu bien avant, naturellement. Comme si de là-haut, M. Hulot sentant le vent venir, avait adressé un pied-de-nez bien dans sa manière aux nouveaux censeurs de l’ordre moral. Les pires : ceux qui réagissent dans la peur et par anticipation. Nous ne serons jamais assez reconnaissant à M. Hulot de nous avoir appris à vivre en faisant un pas de côté de manière à envisager la société avec ce léger décalage qui la rend tellement plus vivable.
Les films de Jacques Tati nous renvoient le reflet d’une certaine France qui n’existe plus, toute de poésie, de légèreté et d’insouciance ; cette “affaire Tati” nous renvoie, elle, l’image d’une autre France, crispée, étriquée, réglementaire, qui existe trop.
Ouest-France du 17 avril 2009
La réaction de Claude Évin
Sur la photo originale, le réalisateur de Mon oncle circule sur un Solex, une pipe à la bouche, un enfant assis sur un siège arrière.
"La loi c'est la loi", explique la RATP en référence à la loi Evin de 1991 qui proscrit la publicité pour le tabac tout en regrettant de ne pas avoir été consultée par sa régie avant cette modification et de "découvrir la polémique".
Bachelot opposée à cette modification
Dans un communiqué la régie publicitaire Métrobus affirme s'être bornée à une application scrupuleuse de la loi en vigueur.
Roselyne Bachelot est quant à elle opposée à cette transformation du cliché qui sert de support à la campagne pour une exposition à la Cinémathèque française. "Ah non, moi, je ne suis pas pour enlever la pipe à Jacques Tati !", a répondu jeudi à des journalistes la ministre de la Santé.
Gérard Audureau, président de l'Association "Droits des non-fumeurs", est partagé."Je ne peux pas condamner sans pour autant cautionner cette retouche", explique-t-il.
Il estime que l'on doit prendre en compte le "point de vue historique" pour ne pas bannir l'objet du délit.
Les déclarations de la ministre et de M. Audureau "réjouissent" Métrobus qui y "entrevoit la possibilité d'un assouplissement de la loi Evin".
Le précédent Sartre
En 2005, un débat similaire avait eu lieu après que la Bibliothèque nationale de France eut jugé bon de supprimer le mégot que tenait dans la main le philosophe Jean-Paul Sartre sur une photo utilisée pour la couverture du catalogue de l'exposition.
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