Comment et pourquoi j'ai dû passer l'équivalent chilien du brevet des collèges ?
S'ils n'avaient pas été sympa, j'aurais pu passer la nuit en tôle. Il y a quelques mois, je me suis fait arrêter par la police de la route pour un contrôle de routine. "Papiers, s'il vous plait!". Comme d'habitude, je présente les papiers de la voiture, mon permis de conduire international, et ma carte d'identité d'étranger ayant le permis de résidence définitif au Chili.
Comme d'habitude, je suis entièrement en règle, ma voiture a été récemment révisée, je n'ai pas bu d'alcool et n'étais pas en excès de vitesse. Mais comme d'habitude avec les carabineros, me vient ce sentiment d'insécurité et de crainte que quelque chose se passe mal. Et cette fois, j'ai raison. Extrait de dialogue avec le policier:
- Monsieur, votre permis de conduire n'est pas valide.
- Comment? Mais je me suis fait déjà contrôler plusieurs fois et je n'ai jamais eu de problème.
- Vous avez un visa de résidence définitive au Chili, le permis international n'est plus valide... Qui sont ces gens avec vous dans la voiture?
- Euh... des amis français qui sont en vacances et que je suis allé chercher à l'aéroport.
- Esta bien... Ça va pour cette fois, mais vous devez vous procurer le permis de conduire chilien.
- Je m'en occupe dès demain! Merci officier!
Inutile de dire que je ne me suis pas occupé dès le lendemain de passer le permis chilien. Mais je n'ai pas trop traîné tout de même: je suis sûr que si j'avais été seul dans la voiture, j'aurais eu droit au moins à une amende, au pire à ce qu'ils me paralysent le véhicule jusqu'à ce que j'obtienne ce foutu permis.
Quelques jours plus tard, je me présente donc à la Direccion del Transito de Viña del Mar pour me renseigner sur les démarches à faire pour passer le permis de conduire, en tant qu'étranger résidant au Chili. Après une heure de queue, passée à essayer de me concentrer sur un bouquin de Vargas Llosa dans le bruit ambiant tout en veillant à ne pas me faire piquer ma place, c'est mon tour.
Une employée visiblement pleine d'enthousiasme et de motivation pour son boulot routinier et mal payé me faire signe de m'asseoir. Le procédé est assez simple, m'explique-t'elle: soit je passe le permis comme tout le monde, soit je me débrouille pour faire valider mon permis français par l'ambassade et par un notaire, et j'obtiens automatiquement le précieux sésame.
Je m'apprête à dire merci à l'employée pleine d'enthousiasme et de motivation et tourner les talons, lorsque un doute m'assaille et me fait rasseoir derechef. Regard énervé de l'employée pleine d'enthousiasme et de motivation qui pensait en avoir fini avec moi et avait déjà appelé le numéro suivant.
- Au fait, j'habite à Quilpué, pas à Viña. Mais c'est plus pratique pour moi de passer l'exa...
- Ah, dans ce cas, il faut que vous alliez vous inscrire à Quilpué.
- Je ne peux pas passer l'examen à Viña?
- Non.
- Ah... mais ce sont les mêmes modalités qu'ici, je suppose?
- J'en sais rien. Ça varie d'une municipalité à l'autre. Vaut mieux que vous demandiez là-bas.
Et voilà comment perdre une heure et demie pour rien. Si ce n'est que j'ai appris que chaque commune a ses propres critères et formalités administratives pour l'obtention du permis de conduire -alors que l'examen est le même dans tous le pays. Si ce n'est la certitude qu'il faudra refaire la même heure de queue à la Direccion del Transito de Quilpué. Youpi!
2 ème partie
Après avoir perdu une heure et demie à la Direccion del Transito de Viña del Mar pour m'inscrire à l'examen du permis de conduire, je me suis dit, avant d'aller à la succursale de Quilpué, je vais au moins réunir tous les papiers que m'a indiqués l'employée pleine d'enthousiasme et de motivation du bureau de Viña. C'est donc dossier et photocopies sous le bras que je me présente à la Direccion del Transito de Quilpué, par un beau matin frisquet et nuageux... oui d'accord on s'en fout de ces considérations météorologiques.
Après une nouvelle heure passée à attendre mon tour dans une pièce vieillotte et froide (c'est pour ca que je mentionnais la météo), on m'appelle enfin au guichet. Je présente mon cas. "Vous avez les papiers nécessaires pour l'inscription?"
J'étale la paperasserie sous les yeux pas du tout impressionnés du fonctionnaire. Une demi-seconde de scrutin, et la sentence tombe: "Il me manque le certificat d'études secondaires". Mais à Viña, on m'avait dit qu'une photocopie de mon diplôme universitaires, dûment estampillée par un notaire, suffisait... "Il faut qu'il soit validé par le ministère des Affaires Étrangères et par le ministère de l’Éducation", me répond l'employé d'une voix automatique qui laisse à peine transparaitre toute la passion qui anime ce fonctionnaire exalté. Et ici, pas moyen de faire valoir mon permis français. Pas reconnu par la municipalité. Flûte, ils sont exigeants, à Quilpué! Sans doute plus méfiants à l'égard des étrangers que les Viñamarinos, nettement plus habitués aux Américains, Européens, Brésiliens ou autres.
Je ressors de là avec de nouveau la sensation d'avoir perdu mon temps. Avec une désagréable certitude, aussi: il me faudra passer l'examen du code de la route et l'examen pratique, puisque permis français ou international ne valent rien à Quilpué. Et avec une question: combien de temps faudra-t-il pour que mon diplôme universitaire soit validé par les deux ministères, tous deux basés à Santiago, et qui ont bien évidemment d'autres chats à fouetter; pardon, d'autres document nettement plus importants à valider?
Plein d'espoir, ou plutôt à moitié plein, je décide de me diriger vers le Secrétariat régional du ministère de l’Éducation, à Viña del Mar, en quête d'information. J'espère secrètement pouvoir les enjôler suffisamment, en montrant patte blanche et pleurnichant un peu, pour que le directeur local appose le tampon du ministère sans devoir envoyer mon diplôme et ma requête à Santiago. Rien n'y fait: dans une réponse courtoise mais désespérément zebdacienne, cet homme débonnaire me dit: "Je crois que ca va pas être possible".
Et d'ajouter que le temps d'envoyer mon dossier à Santiago, qu'il soit traité par les deux ministères et renvoyé à Viña, ca prendrait bien trois mois. Connaissant la bureaucratie locale, je traduis par "au minimum trois mois, voire plus". Face à mon désarroi non dissimulé, le débonnaire directeur me dit: "Vous savez, ce qui serait plus simple et plus rapide, c'est que vous passiez le brevet des collèges. Vous avez un diplôme universitaire, ce devrait être une simple formalité".
Si tu veux conduire, passe le brevet d'abord! En voilà une idée! Alors évidemment, je m'inquiète un peu: je n'ai jamais étudié au Chili, comment puis-je faire pour passer un examen sans avoir idée de ce qu'il y a au programme, notamment l'Histoire (même si, je dois dire sans modestie aucune, je connais mieux les principaux épisodes de l'Histoire locale que la majorité des Chiliens)?
Je dois avoir l'air assez perplexe, car le débonnaire directeur se sent obligé de me rassurer: "Ne vous en faites pas: on demande aux candidats au permis de conduire de présenter leur certificat d'études afin de s'assurer qu'ils sont capables de lire les panneaux et indications sur la route, rien de plus. Je vais faire passer votre dossier à un centre d'études pour adultes, en précisant que vous avez juste besoin du certificat pour le permis de conduire. Demandez à voir le doyen des professeurs de ma part".
Et moi qui pensait que tout cela ne serait qu'une formalité administrative...
Troisième partie :
Résumé des épisodes précédents:
Face à l'impérieuse nécessité de passer le permis de conduire chilien, diverses péripéties et réglementations m'ont amené à devoir prouver que je sais lire et écrire, condition sine qua non pour s'inscrire à l'examen et obtenir le permis. Me voici donc dans l'obligation de passer l'équivalent chilien du brevet des collèges.
Centre d'études pour adultes Los Castaños de Viña del Mar. C'est ici, dans cet immeuble vétuste, que j'ai rendez-vous avec le doyen des professeurs. J'espère pouvoir obtenir de passer une sorte d'examen spécial, et tout de suite. Je vais pas attendre la date nationale à laquelle tous les élèves de 14 ans passent le brevet, quand même! "Dites que vous venez de ma part", avait dit le débonnaire directeur du Secrétariat régional de l’Éducation... Ça doit bien servir à quelque chose, non?
Me voici donc à la porte. Opaque, et close. Je colle l'oreille: pas un bruit. On est vendredi matin, et le centre semble sans vie. Étrange. Je tourne en rond, cherche une autre entrée, regarde à travers les fenêtres: rien. Finalement, une femme de ménage m’aperçoit et entrouvre la porte:
- "Qu'est-ce que vous cherchez?"
Je me faufile, demande à voir le doyen des professeurs. On m'intime d'attendre dans un sombre couloir. J'attends. Des adolescents à problème courent et crient dans les escaliers. Visiblement, cet endroit est plus un centre de réinsertion qu'autre chose. Je me demande un peu où j'ai mis les pieds. Finalement, on me fait passer dans le bureau du doyen. Je ne le sais pas encore, mais c'est là que mon récit va prendre tout son piquant.
Me reçoit un monsieur affable, propre sur lui, d'une soixantaine d'années raffiné:
- Ah, vous voulez passer le permis de conduire. Il vous faut un certificat d'études. Ah, vous êtes français? ah, c'est merveilleux! J'aime beaucoup la France, le français... Je vois que vous avez de l'éducation... Alors parlez-moi de la France, un peu... Bordeaux? Ah oui, je connais, c'est très beau! Le vin, tout ca...
On frappe à la porte. Le professeur grimace: on le dérange en pleine délectation pour le récit de son interlocuteur français, et par conséquent incontestablement raffiné. Entrez. Pendant que le vieil enseignant règle les affaires courantes, je jette un coup d’œil à l'exigu bureau: modeste, exigu, avec un ordinateur de l'ère MS Dos, et une collection de bouquins scolaires plus vieux que moi: visiblement, on a raclé les fonds publics qui restaient pour financer cet endroit. Mais pas le temps d'inspecter plus en détail: le doyen renvoie vite l'opportun. Fermez la porte derrière vous, et que l'on ne nous dérange pas.
Ça ne fait pas cinq minutes que je suis là, et je me rends bien compte que ce monsieur est attiré par ma jeunesse et ma franchouillarditude élégante (sic!). Je suis comme une bouffée d'air frais, pour cet homme qui est entouré quotidiennement d'adolescents et adultes sans éducation. Le voilà qui se penche vers moi, s'accoude à son bureau, pose délicatement sa tête dans sa main d'un geste efféminé, et lâche d'une voix mielleuse: parlez-moi un peu de la France, c'est tellement beau... Et puis de vous: qu'est-ce qui vous amène là?
L'espace d'une seconde, je suis un brin décontenancé. Je ne suis pas là pour faire ami-ami avec un vieux professeur homosexuel libidineux. Mais voyant que ce serait le moyen le plus rapide et le plus sûr d'obtenir ce que je suis venu chercher, je joue le jeu et répond avec une certaine emphase. Je lis dans ses yeux qu'il est enchanté de m'écouter parler et que je le fais voyager, à parler du pays de Molière avec cet accent "tellement beau".
Et puis soudain, il s'ébroue, se rejette en arrière, revient à la réalité et la raison de ma visite: Bon, il faut que je vous fasse faire un test. Gestes d'agacements: ces formalités administratives sont tellement fastidieuses... Vous êtes un universitaire, pas besoin de vous faire l'examen complet... Tenez, prenez ce livre. Lisez.
Et me voilà parti à lire une fiche de lecture sur Don Quichotte et les moulins à vent de l'Extramadura. Au bout d'une page: çà suffit, c'est bien. C'est beau comme je lis, avec mon accent français! Merci bien, professeur. S'ensuivent quelques questions de compréhension du texte. Facile. Le doyen semble s'ennuyer et rechigne à me faire passer un test complet.
En théorie, en plus de l'épreuve d'espagnol, il y a un test de mathématiques, un autre de sciences naturelles, et une épreuve intitulée "Sciences sociales". Il imagine que si j'ai un diplôme universitaire, je sais compter jusqu'à 10. Bingo, professeur! La parlotte continue: quelques digressions sur la France, la politique, la littérature, blablabla, et voilà pour les "sciences sociales"! Mon accent français, mon sourire et mes bonnes manières font le reste: j'ai définitivement conquis le cœur du doyen.
Il sort une feuille de notes, me met 6 (sur 7) à toutes les matières, accompagné de "très bien" pour tout commentaire, et va faire tamponner le bulletin par le directeur. Et voilà: au bout de trois quarts d'heure, j'ai mon brevet des collèges, et suis autorisé à entrer au lycée!
Ça m'aura pris du temps et des démarches pour pouvoir passer le permis de conduire, mais rien que pour çà, çà valait la peine! Et j'ai finalement obtenu mon permis. Mais çà n'est pas assez intéressant pour mériter un nouvel article.
Site - http://www.vusurlemonde.com/
Voici le lien vers un autre blog de Bertrand, français de Valparaiso
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