30 septembre 2005

Coup de chapeau aux Canadiens. Une femme, noire, immigrée est devenue la nouvelle Gouverneure générale du Canada









Michaelle Jean est devenue 27 ème Gouverneure général du Canada
Michaelle Jean, 48 ans, a été assermentée à titre de 27ème Gouverneure générale du Canada.

Elle est la troisième femme et la première personne de race noire à devenir chef de l'Etat canadien.


Michaêlle Jean, renonce à sa citoyenneté française.

Alors qu’elle prend officiellement fonction ce mardi 27 septembre 2005, Michaelle Jean, a annoncée dimanche qu'elle renonçait à sa nationalité française. L’information contenue dans un communiqué de presse, précise qu’ « en raison des responsabilités liées à la fonction de gouverneure générale du Canada, et de commandant en chef des forces canadiennes elle a décidé de renoncer à la nationalité française » .

En effet, Michaelle Jean, Journaliste d'origine haïtienne, avait la double nationalité
canadienne et française. Aujourd’hui âgée de 48 ans, elle avait acquise cette citoyenneté suite à son mariage avec le cinéaste français. Jean-Daniel Lafond. La France a accédée à sa demande le 23 septembre 2005.

La gouverneure générale du Canada est la représentante officielle de la reine d'Angleterre, qui est le chef d'Etat du Canada. Cette fonction était jusqu’ici occupée par Adrienne Clarkson.

Son portrait par Radio Canada

Discours d'installation de Michaëlle Jean,
Gourverneure générale du Canada

Ottawa (Ontario), Le 27 septembre 2005

Prime Minister, Monsieur le Premier ministre,

C’est avec fierté et beaucoup d’émotion que je réponds aujourd’hui à l’appel du destin qui prend parfois un tournant que l’on n’aurait pas osé imaginer. Sachez combien je suis honorée de la marque de confiance que vous me témoignez en me désignant le 27e Gouverneur général du Canada. Je tourne en votre présence une page importante de ma propre histoire et j’entreprends cette nouvelle aventure avec espoir et conviction.

Je voudrais avant tout vous parler d’espoir. Lors de sa vingt-deuxième visite au Canada, en mai dernier, la Reine Élizabeth II nous rappelait que nous pouvons “faire une différence” pour celles et ceux qui viendront après nous. “Si nous nous efforçons dans notre vie et à notre manière d’améliorer le monde qui nous entoure, alors, disait-elle, nous pourrons à bon droit être fière de notre contribution”. Voilà une parole en tous points conforme à la femme très préoccupée par le sort de l’humanité que j’ai eu l’honneur de rencontrer à Balmoral. C’est une parole d’espoir que je fais mienne devant vous.

Car l’espoir a éclairé tout mon parcours d’enfant et de femme et s’est incarné dans ce pays aux possibilités illimitées que, il faut bien l’avouer, l’on tient parfois pour acquis. Depuis la petite fille née dans un autre pays “barbelé de pied en cap”, pour reprendre l’expression si forte de mon oncle le poète René Depestre, celle qui a vu ses parents, sa famille, ses amis aux prises avec les horreurs d’une dictature sans merci, jusqu’à la femme qui se tient devant vous aujourd’hui, c’est tout un apprentissage de la liberté qui a vu le jour.

Je sais à quel point cette liberté est précieuse et quel héritage fabuleux elle représente pour chaque enfant et chaque citoyen de ce pays. Moi dont les ancêtres étaient des esclaves, moi qui suis issue d’une civilisation longtemps réduite aux chuchotements et aux cris de la douleur, j’en connais le prix et je reconnais en elle notre plus grand trésor collectif.

Je demeure convaincue que chaque Canadienne, chaque Canadien, est riche de cette liberté et défierait quiconque voudrait la lui enlever. De Signal Hill à l’île de Vancouver, de la terre de Baffin à Thetford Mines, cette terre de liberté est nôtre et nous unit toutes et tous. Cette liberté a marqué notre histoire et notre territoire de son souffle florissant comme nos étés et fort comme nos hivers. Elle a façonné cet esprit d’aventure que j’aime par-dessus tout dans ce pays et qui permet à chacune et à chacun d’entre nous de participer pleinement à son édification.

Il y a plus de quatre siècles, cet esprit d’aventure pousse des femmes et des hommes à franchir l’océan pour découvrir ailleurs un monde nouveau. C’est aussi lui qui amène des peuples autochtones à leur communiquer le génie de ces terres généreuses. C’est encore lui qui conduit les gens des quatre coins du monde à venir ici prendre part à nos projets d’avenir ou recommencer leur vie à l’abri de l’injustice et loin des massacres. C’est toujours lui qui incite nos artistes, nos chercheurs, nos forces du maintien de la paix et nos institutions à propager notre savoir-faire et notre message d’espoir. Nous sommes aujourd’hui la somme de toutes ces aventures.

Pensez-y. Aborder une terre inconnue avec l’espoir de s’y enraciner. Se nourrir de la rencontre avec les peuples de ces grands espaces qui résonnent de leurs coutumes immémoriales. S’ouvrir enfin au monde entier qui vient retrouver chez nous l’idéal d’une société où toutes les citoyennes et tous les citoyens sont égaux en droits. Notre histoire nous parle de la liberté d’inventer un monde nouveau, et de l’audace de ces aventures singulières.

Permettez-moi d’ajouter que ma nomination au poste de Gouverneure générale du Canada en est la preuve. La preuve que tous les possibles sont permis en ce pays. Ma propre aventure représente pour moi et pour d’autres une étincelle d’espoir que j’aimerais entretenir pour le plus grand nombre.

Nous récoltons aujourd’hui ce que nous avons semé, et la moisson est abondante. Nous avons mis en place des mesures qui ont favorisé l’éclosion de talents qui portent notre voix dans le monde entier. Le Canada peut compter, en ce début de millénaire, sur deux richesses inestimables : notre territoire et notre population. Chacune et chacun d’entre nous renoue à sa façon avec ce sentiment d’appartenance à cet espace que nous partageons et qui contient le monde. Jamais il n’a été aussi urgent d’en assurer l’intégrité éthique et écologique pour les générations à venir. Il s’agit là d’une obligation morale.

Je sais que notre planète est fragile et des catastrophes naturelles comme celle qui a sévi dernièrement chez nos voisins nous le rappelle brutalement. Nous avons vu tant de personnes perdre leurs biens. Puis, comme c’est universellement le cas dans de telles circonstances, nous avons vu émerger des segments entiers d’une population, parmi les plus démunis, celles et ceux qui n’avaient nulle part où aller. Dépossédés, sans repères, confrontés à la dévastation, voire au désarroi. Des images comme celles-ci, nous en avions vues en provenance du Darfour, d’Haiti, du Niger. Voilà que cette fois-ci, c’était la Nouvelle-Orléans, dans les marges d’une société d’abondance.

D’autres changements surviennent et nous rendent perplexes. La redéfinition des frontières et la violence qui parfois l’accompagne, l’ouverture des marchés, la rapidité et la convergence des moyens de communications font que la carte du monde se modifie de jour en jour sous nos yeux et que les pays s’interrogent sur la place qu’ils y tiennent. L’enjeu est de taille : il s’agit de participer à la fois à un mouvement de mondialisation et à la protection de signes qui enrichissent l’humanité de notre propre rapport au monde.

Le métier de journaliste, que j’ai pratiqué avec passion et conviction, m’a permis d’être le témoin privilégié de bien des bouleversements et de cette ouverture sans précédent sur le monde. Sachez que j’entends rester à l’écoute et que ma curiosité reste vive. J’estime que nous sommes à un point tournant de l’histoire des civilisations et que notre avenir repose plus que jamais auparavant sur celles et ceux qui nous forcent à imaginer le monde de demain. Ces femmes et ces hommes qui déploient aujourd’hui les multiples facettes de nos possibilités. Qui gravent dans notre mémoire la mesure de nos aspirations. Qui nous tendent un miroir où se révèle l’écart entre ce que nous sommes et ce que nous aspirons à être.

Il est fini le temps des “deux solitudes” qui a trop longtemps défini notre approche de ce pays. L’étroitesse du “chacun pour soi” n’a plus sa place dans le monde actuel qui exige que nous apprenions à voir au-delà de nos blessures et de nos différends pour le bien de l’ensemble. Bien au contraire, nous devons briser le spectre de toutes les solitudes et instaurer un pacte de solidarité entre tous les citoyens qui composent le Canada d’aujourd’hui. Il y va de notre prospérité et de notre rayonnement partout où l’espoir que nous représentons apporte au monde un supplément d’âme.

C’est dans cette perspective que j’entends m’assurer que cet espace institutionnel que j’occupe à compter d’aujourd’hui soit plus que jamais un lieu où la parole citoyenne trouvera un écho et où prévaudront les valeurs de respect, de tolérance et de partage qui sont si chères à mes yeux et à ceux de toutes les Canadiennes et de tous les Canadiens. Je dirais même que ces valeurs sont pour moi souveraines et sont inextricablement liées au Canada que j’aime. Mon mari Jean-Daniel Lafond et moi-même souhaitons rallier les forces vives autour de ces valeurs qui nous rassemblent et qui ont une portée universelle.

Il est une phrase de Montesquieu, ce philosophe du siècle des lumières, qui résonne beaucoup en moi et que j’aimerais partager avec vous. Elle dit que “le devoir du citoyen est un crime lorsqu’il fait oublier le devoir de l’homme”. J’ajouterais, évidemment, de la femme, puisque nous aimons être nommées à part entière. Et bien cette phrase m’inspire et me réconforte à la manière d’un rempart contre la barbarie qui afflige tant de peuples en ce monde. Elle me rappelle aussi la chance que nous avons toutes et tous d’être citoyennes et citoyens d’un pays qui ne craint pas de faire reculer les préjugés et dont la générosité est notre plus bel étendard dans le concert des nations. À titre de Gouverneure générale, j’entends mettre en valeur cet élan de générosité dont les Canadiennes et les Canadiens ont souvent su faire preuve au fil de l’histoire, depuis nos anciens combattants et nos Forces canadiennes, dont les sacrifices sont innombrables, jusqu’aux nombreux volontaires de l’action humanitaire qui travaillent souvent dans l’ombre au nom d’un idéal pacifique de liberté et de justice.

Je veux aussi et surtout que nos jeunes soient nos porte-étendard. Je veux qu’ils puisent à pleines mains dans ce trésor énorme qu’est le Canada. Je suis mère d’une petite fille dont l’histoire m’a ouvert les yeux sur des réalités très dures, mais incontournables. Marie-Éden, ma fille, a changé ma vie. Elle m’a appris que si tous les enfants naissent égaux, ils n’ont pas tous les mêmes chances de s’épanouir. Voilà qui vaut autant pour les enfants d’ici que pour les enfants du tiers monde.

Je pense également à Joshua, ce jeune Cri rencontré il n’y a pas si longtemps à Nemaska où mon métier de journaliste m’avait conduite. Alors que la plupart de ses camarades avaient décroché de l’école et que plusieurs d’entre eux s’étaient donné la mort, ce garçon s’est étonné de ma présence dans sa communauté. Il m’a interrogé sur mon travail dans les médias et, d’une manière ou d’une autre, mon expérience l’a incité à vouloir prendre sa place dans le domaine des communications, en dépit de tous les obstacles sur sa route.

Rien ne me semble plus indigne de nos sociétés modernes que la marginalisation de certains jeunes conduits à l’isolement et au désespoir. Nous ne devons pas tolérer de telles dérives. Après tout, nos jeunes nous aident à redéfinir la grande famille à laquelle nous appartenons toutes et tous dans un monde de moins en moins étanche, de plus en plus ouvert. Ils sont la promesse de notre avenir. Il est donc de notre devoir de les engager à participer à cette réinvention du monde et de leur communiquer cet esprit d’aventure que nos ancêtres nous ont transmis, quelles que soient leurs origines. Il faut donner aux jeunes le pouvoir et surtout l’envie de faire ressortir leur plein potentiel. À cela, je veillerai et j’invite tous et chacun à m’aider dans cette tâche primordiale.

Je suis animée de l’espoir de rencontrer très bientôt mes compatriotes et je suis forte de la conviction que le Canada doit continuer à accomplir de grandes choses si nous travaillons ensemble au mieux-être de la population et de l’humanité. Notre pays est si vaste et si riche dans ses coloris et ses accents. Plusieurs d’entre nous n’avons pas la chance d’en mesurer l’étendue. Je sais combien je suis privilégiée. D’où mon impatience et ma hâte d’aller à votre rencontre et d’amorcer avec vous le dialogue qui est pour moi l’acte fondateur de ce pays.

J’ai déjà une bonne idée de la sagesse des Premières Nations, de l’hospitalité légendaire et de l’humour des gens de l’Atlantique, de l’âme généreuse et de la culture rayonnante des Québécoises et des Québécois, de la résilience des francophones hors Québec, de l’impressionnante vitalité économique de l’Ontario, du sens de l’honneur des résidants de l’Ouest où, me dit-on, il est encore possible de conclure une bonne affaire par une poignée de main, de la géographie spectaculaire de la Colombie-Britannique. Je connais plusieurs des splendeurs de ce pays, mais il me reste tant à découvrir à vos côtés. Il me tarde d’aller vers vous, dans vos communautés, vos villes, vos villages, vos familles, et de vous entendre parler de votre foi en ce pays de liberté qui est une source inépuisable de renouvellement.

Les gouvernements de tous les ordres, les communautés de partout au pays, les organismes qui veillent à son essor, les institutions qui le mettent en valeur, les femmes et les hommes qui font que ce pays existe ont tous la responsabilité d’éveiller en nous cet esprit d’aventure avec lequel j’entreprends aujourd’hui d’assumer, avec fierté et détermination, la fonction de Gouverneure générale du Canada. Je souhaite de tout mon coeur que nous misions ensemble sur la vigueur de notre histoire collective pour réaliser notre voeu le plus cher, mais le plus ambitieux, d’un monde meilleur.

Je vous remercie.

Commentaire personnel :

Le Canada est très loin .... de la France ...